La santé en Afrique : pourquoi la France et l’Europe devraient être plus engagées

Publié le par SMILE AFRICA

Le rôle de la France en faveur de la santé en Afrique s’inscrit dans le prolongement de l’histoire coloniale du Service de santé des armées et du dispositif bilatéral du Ministère de la Coopération aux lendemains des indépendances jusqu’à la fin des années 1990. Construction et équipement d’hôpitaux et de dispensaires, formation des personnels de santé, lutte contre les grandes endémies, envoi de médecins et assistants techniques français de toutes spécialités, projets de recherche clinique et en sciences sociales, sont autant d’activités très attendues et appréciées des populations et des autorités sanitaires des Etats d’Afrique francophone tout au long de cette période. En y envoyant ses femmes et ses hommes, aguerris de la pratique de la médecine tropicale ou administrateurs de la santé, la France cultive pendant quatre décennies la collaboration institutionnelle mutuelle indispensable au renforcement des capacités nationales du secteur public comme de la société civile. Depuis le début des années 2000, la réforme du dispositif français de la Coopération s’accompagne du recul très net de l’aide bilatérale, y compris de l’assistance technique, et du basculement des financements du gouvernement au bénéfice d’initiatives mondiales dont les programmes sont pilotés à distance, souvent depuis Genève.

2En discutant  à Okinawa en 2000, l’année de la Déclaration du Millénaire, et en le confirmant l’année suivante à Gênes, sous l’impulsion du Secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan, l’Africain, les dirigeants du G8 répondent présents sur l’agenda des pandémies qui tuent six millions de personnes par an à elles trois : le G8 décide de créer un Fonds Mondial en faveur de la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. La même année, la Session spéciale de l’Assemblée générale des Nations Unies déclare le sida question de sécurité internationale, pendant que les chefs d’Etats de l’Organisation de l’Union Africaine réunis à Abuja, toujours en 2001, s’engagent à consacrer au secteur de la santé 15% des budgets publics et signent la Déclaration d’Abuja.

3Dix ans plus tard, il est plus que jamais capital de relever les défis : la population du continent va doubler d’ici à 2050 et les questions de sécurité alimentaire ne sont pas isolées. L’Afrique à l’échelle mondiale, c’est 25% de la charge de morbidité, 3% des personnels de santé et 1% des ressources économiques. Plusieurs rapports annoncent une croissance africaine forte d’ici à 2015. Certes, mais l’Afrique reste au ban de la mondialisation et les Objectifs du Millénaire pour le Développement ne seront pas atteints ici. Par ailleurs qui bénéficie de cette croissance? Comment prévenir les très fortes inégalités qui l’accompagnent et saisir plutôt l’opportunité de créer un socle de protection sociale comme l’a recommandé la Commission Bachelet au sommet du G20 de Cannes en novembre 2011 ?

4La situation sanitaire du continent se résume comme suit : près de 70% des malades atteints de sida dans le monde, plus de 90% des orphelins de sida, et, plus important en termes de dynamique de propagation pandémique, c’est sur ce continent que se produisent 70% des nouvelles infections à VIH. L’incidence de la tuberculose continue d’augmenter à l’échelle mondiale, du fait de l’augmentation du nombre de nouveaux cas en Afrique. C’est encore ici que se produisent plus de 80% des cas de paludisme du monde, et que le paludisme tue le plus grand nombre d’enfants et de femmes enceintes. L’Afrique c’est aussi 50% des morts maternelles et infantiles : la mortalité des femmes enceintes ou qui accouchent bât les records, la mortalité par avortement y est la plus élevée. Ce n’est pas tout. Les maladies respiratoires et cardiovasculaires, le diabète, le cancer mettent au défi les autorités et les populations, pour la très grande majorité dépourvues de couverture du risque maladie, de minimiser les dépenses de santé au fur et à mesure que l’urbanisation s’accompagne de l’adoption de comportements à risques (sédentarité, tabagisme, alcoolisme, etc.). La pénurie des personnels soignants y est plus aiguë que partout ailleurs, puisque selon l’OMS, sur les 4 millions de personnels de santé manquants à l’échelle mondiale, il en manque 1 million sur le seul continent africain.

5Croissance démographique sans précédent, insécurité alimentaire, mortalités maternelle et infantile les plus élevées, maladies infectieuses, maladies chroniques, santé mentale, accidents de la voie publique, ni assurance maladie ni protection sociale pour la plupart, pénurie de personnels de santé, effets de la crise économique et financière mondiale : comment répondre à des enjeux aussi complexes qu’intriqués aux effets dévastateurs sur le bien-être et le développement économique et social du continent?

6Les réponses nationales, française et européenne, actuelles ou en préparation, sont modestes : seuls six Etats des 53 du continent ont atteint l’objectif d’Abuja dix après la conférence. A l’aide bilatérale classique, la France privilégie depuis plusieurs années le financement de partenariats public-privé mondiaux et le développement de financements innovants, autant de mécanismes pilotés à distance du terrain, ce qui appelle un certain nombre de précautions discutées plus loin. Comme le déplore la Cour des Comptes européenne en 2009, la part que le Fonds européen de développement consacre au secteur de la santé décroît tout au long de la décennie 2000-2010. C’est environ 3% du 10ème FED qui bénéficie au secteur de la santé des Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique sous l’Accord de Cotonou, ceux-là même (l’Afrique) qui enregistrent les progrès les plus lents en vue de la réalisation des OMD de la santé. La Commission européenne n’a pas démontré que l’aide budgétaire globale, instrument de financement du développement privilégié tout au long de la décennie, contribue à améliorer la performance du secteur de la santé des Etats ACP, ou parvient même à renforcer les systèmes de santé, même lorsque les mécanismes de décaissement sont incitatifs. C’est le Royaume Uni qui traduit en financements, en opérations et en expertises équilibrées bilatérales et multilatérales, une volonté politique forte en faveur du développement sanitaire…des pays d’Afrique anglophone.

7A l’échelle mondiale les volumes de financements en faveur de la santé ont certes augmenté en valeur absolue ces dernières années, du fait de la contribution spectaculaire des Etats-Unis, au travers de la Fondation Bill et Melinda Gates et du Programme PEPFAR (US President Emergency Programme for AIDS Relief), qui visent à financer respectivement l’achat de vaccins et des programmes de prise en charge du sida (peu la prévention). Dix ans après sa création, le Fonds mondial a engagé près de 22 milliards de dollars, au travers de 600 subventions dans 150 pays. Si l’on regroupe les dons de la Commission européenne et des Etats membres, l’Union européenne est le plus gros donateur au Fonds Mondial. En lui donnant 360 millions d’euros par an, la France figure dans le peloton de tête des bailleurs à ce Fonds. Au G8 de Muskoka en 2010, alors que le Secrétaire général des Nations unies Ban Ki Moon lance la Stratégie mondiale pour la santé de la femme et de l’enfant, la France annonce une contribution de 500 millions d’euros sur les cinq prochaines années.

8Pour faire face aux défis décrits plus haut, et aux besoins croissants de demain, dans un contexte de crise financière mondiale, où l’aide va diminuer, « less money, more needs », il est plus que jamais impératif de garantir l’efficacité et l’impact de ces financements.

Au-delà des apparences, un certain nombre de questions se posent : La santé n’est pas une priorité des politiques de développement

9Détrompez-vous, la santé n’est pas une priorité, ni des Etats en Afrique ni des institutions de coopération au développement. Une quarantaine de gouvernements du continent dépensent moins de 40 dollars per capita sur la santé, pendant que Jeffrey Sachs, président de la Commission Macroéconomie et Santé sous l’égide de l’OMS, propose dès 2002 un seuil de 40 à 50 dollars de dépenses de santé per capita pour garantir une offre minimale de soins de santé. Du côté de la communauté internationale, le traitement des malades atteints de sida a retenu l’attention des bailleurs, de même que la vaccination des enfants, même si tous les patients et les enfants éligibles n’en bénéficient pas, faut-il le rappeler ? Pendant ce temps les systèmes de santé, dont l’approvisionnement et la distribution des médicaments, la formation et la gestion des carrières des soignants, les systèmes d’information sanitaire ou d’alerte épidémique, etc. n’ont pas bénéficié de la même attention, générant des déséquilibres maladies-systèmes, et générant surtout, ce qui est moins discuté, une iniquité entre les malades qui est tout à fait préoccupante du point de vue éthique et déontologique: par les temps qui courent, mieux vaut être atteint de sida ou de tuberculose que de méningite ou de fièvre typhoïde; ne parlons pas de cancer.

10De façon plus générale, en dehors des risques épidémiques, considérés comme les vraies menaces, la santé n’intéresse pas les responsables politiques : invités à une « concentration sectorielle » lors de la programmation des conventions de coopération avec leurs partenaires sur le continent, les ambassadeurs de France et de l’Union européenne, pour la plupart, ne choisissent pas le secteur de la santé. Perçu comme opaque, il y est difficile de montrer des résultats, les médecins ne sont pas des personnalités faciles avec qui travailler, l’absorption des ressources y est lente, les capacités managériales sont faibles, etc. la demande des ministres des finances sur place n’est guère plus motivée.

11La volonté politique se mesure à l’aune de l’expertise formée et mobilisée, pas seulement en termes financiers. L’argent sans expertise (nationale ou internationale) ne porte en soi aucun potentiel d’efficacité. C’est particulièrement vrai en santé où les résultats et la qualité des interventions vont de pair. Or dans les années 2000, le gouvernement français et la Commission européenne ont choisi de ne plus recruter directement l’expertise technique en faveur de ce secteur du développement, et de réduire considérablement les budgets alloués à l’expertise en général. Que ce soit dans les représentations de leurs institutions respectives sur le terrain, auprès des autorités sanitaires du pays aux niveaux national, régional ou départemental, ou encore auprès des décideurs des grandes instances internationales, l’expertise française en santé et développement est quasi absente. Elle est devenue rare et sa compétence inadaptée aux évolutions considérables de l’architecture de l’aide internationale de ces dix dernières années. Où l’expertise française et européenne sont-elles formées? Qui prépare les jeunes à contribuer au développement sanitaire des pays du Sud dans un avenir proche et sur le long terme? Du point de vue français, le champ de l’« international » ne se résume-t-il pas tout au plus à ce qui se passe dans l’hémisphère Nord? Le champ du développement intéresse-t-il les Français, les européens à la hauteur des enjeux? Au pays de Descartes, Montesquieu et de Montaigne, où réfléchissons-nous sur les plus grands défis mondiaux contemporains et à venir, tels les « think tanks » anglosaxons?

12L’intérêt de l’opinion peut être suscité et la volonté politique se construire dans le temps. Elles passent par l’éducation par les parents, par des enseignements ou des conférences dès le plus jeune âge à l’école, autant que par la sensibilisation et la formation des futurs responsables politiques (grandes écoles, universités, Ecole Nationale d’Administration) ici et ailleurs. Elle s’inscrit dans un projet de société qui prépare à l’ouverture au monde. Se départir du spectre de la Françafrique, distinguer les fondements et les objectifs des politiques de développement et de migration, réduire la distance et la déconnexion, encourager la rencontre de proximité entre nos peuples, provoquer des échanges mutuels sur les réalités et le vécu, mettre les jeunes au travail et financer le voyage solidaire, de part et d’autre, donner la parole à la société civile d’Afrique, serait certainement plus efficace à bâtir des sociétés qui apprennent à se connaître, se soutenir et s’intégrer. Que faisons-nous dans cet esprit? Nos élus se saisissent-ils de ces problématiques, de ces questions de société? La volonté politique se nourrit de ce que veulent les peuples. Les jeunes sont prêts, aucun dispositif ne favorise la mobilisation de leur curiosité, de leurs énergies et de leurs compétences au service d’un partenariat avec leurs pairs en Afrique. Les barrières douanières sur les marchandises sont plus faciles à enlever que tout ce qui fait obstacle à la circulation des personnes entre nos pays, que ce soit du sud au nord (visa) ou du nord au sud (pas de dispositif institutionnel ni de financement). Il en résulte une méconnaissance du terrain qui ne peut que nuire à ce qui inspire les politiques du développement, tant en France qu’à la Commission européenne qui prépare sa politique de développement 2014-2020.

 
La santé en Afrique : pourquoi la France et l’Europe devraient être plus engagées

Publié dans INFORMATIONS GENERALES

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article